___Sur le A-10 Thunderbolt

Face à l'écrasante supériorité numérique des forces du Pacte de Varsovie en matière de blindés, les pays membres de l'OTAN devaient compter sur la valeur de leur technologie pour redresser la balance. Bien sur, l'utilisation d'armes extrêmes comme la bombe à neutrons pouvait condamner à la ferraille les divisions soviétiques, mais un moyen beaucoup plus ponctuel et moins dangereux pour les populations civiles devait être mis au point pour affronter de près ces divisions blindées. Sur les quelques 25,000 blindés stationnés en Europe centrale durant la Guerre froide, 18,000 é taient mis en ligne par l'URSS. Face à une invasion venant de l'Est, l'OTAN ne pouvait compter que sur ses moyens de lutte anti-blindé tant terrestres qu'aériens. En ce domaine également, les pays de l'Est bénéficiaient d'une nette supériorité numérique. Aux 10,200 systèmes anti-chars montés sur véhicules ou hélicoptères du Pacte de Varsovie, l'OTAN ne pouvait opposer que 6000 batte ries et missiles anti-chars mobiles. Durant les années 70 et 80, l'Europe occidentale compensait son infériorité numérique par la supériorité technologique de ses matériels: missiles anti-chars TOW, Milan, Hot et Swingfire au sol, et paniers de roquettes, missiles air-sol Maverick ainsi que bombes conventionnelles lancés des airs. Même si les pays d'Europe occidentale avaient développé toute une gamme de missiles anti-chars et air-air efficace, ils ne s'étaient pas concertés pour produire con jointement du matériel homogène. Le résultat fut que l'utilisation de ces armes européennes furent, via l'OTAN, soumises au controle américain. L'US Army et l'US Air Force ont fourni à l'effort européen de défense la majeure partie des moyens aériens anti-chars dont disposait l'OTAN; la pre mière mettait en oeuvre une flotte impressionnante d'hélicoptères, la seconde utilisait de redouta bles chasseurs-bombardiers et les avions d'attaque au sol Fairchild A-10. 

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Le A-10 a été construit autour du cnon-mitrilleur GAU-8 de 30mm

Avant que ne soit distribué le missile anti-char Hellfire guidé par laser, le principal outil anti-char américain en Europe était l'hélicoptère Bell AH-1 Cobra, muni de missiles TOW filoguidés. Bien que plus lent à répondre à une menace que l'avion, l'hélicoptère a l'avantage de pouvoir suivre à la trace sa proie avec toute la lenteur et la ruse dont peut faire preuve un chasseur de gros gibier, utili sant les obstacles naturels pour dissimuler ses approches à très basse altitude. Les appareils légers de lutte anti-char opérant au-dessus d'un champ de bataille sont, comme les hélicoptères, extrême ment vulnérables aux moyens de défenses ennemis: armes légères, canons-mitrailleurs, et missiles sol-air. Des passages à grande vitesse, bien que conférant un léger surcroit de sécurité nuisent à la précision dans l'attaque. Au début des années 70, la seule solution pratique consistait à mettre au point un appareil tout à la fois apte à trainer au-dessus d'un objectif et pratiquement invulnérable aux tirs venant du sol. Le Fairchild A-10, surnommé Thunderbolt, réunissait de façon idéale ces deux qualités.

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La problématique

L'adoption du A-10 dans l'USAF a toujours été l'objet d'une controverse. Historiquement, les Américains n'ont jamais été séduits par la validité du concept d'un avion d'attaque au sol. Durant la Seconde Guerre mondiale, l'appui au sol était laissé soit à des bombardiers bimoteurs légers com me le A-26 Invader, ou à des chasseurs-bombardiers monomoteurs comme le P-47. Même chose pour l'Angleterre, qui préféra alourdir et sur-armer des chasseurs déjà existants, comme le Hurricane, ou le Typhoon. En revanche, les Allemands firent de l'avion d'attaque au sol Stuka le fer de lance de leur doctrine aéro-terrestre qu'ils ont appliqués à partir de Septembre 1939. Les Soviétiques firent de l'avion d'attaque au sol Stormovik, l'appareil le plus important pour lutter contre les poussées allemandes. Lorsque l'USAF s'organisa après la guerre comme une entité séparée de l'armée, elle s'orienta vers les produits de haute technologie, et négligea avec mépris la conception d'ap pareils dits de basse technologie. Pour les bureaucrates de l'USAF, le A-10 n'est qu'un engin peu coûteux qui ne peut porter des systèmes et armes de haute technologie, et c'est pourquoi il fut toujours boudé au profit d'avions high-tech comme le F-15 et le F-16.

 Le produit

Le Fairchild A-10 Thunderbolt fut conçu en réponse à une demande de l'US Army (et non à cel le de l'USAF) en 1968 pour un avion d'attaque au sol. Il effectua son premier vol d'essai en 1972. Au terme d'une série d'essais opérationnels, il fut préféré au Northrop A-9, un prototype rival. Sa caractéristique principale est son fuselage; il contient une forte proportion de titane qui permet à l'appareil de résister à des coups direct d'obus anti-aériens de 57mm tirés presque à bout portant. Pour faciliter l'entretien et les réparations, certaines parties constituantes comme les volets, gouvernails, jambes de train sont facilement interchangables et/ou réparables. Les systèmes hydrauliques de vols ont tous été doublés, et en cas de perte de pression, le pilote peut recourir à des comman des manuelles. Malgré son blindage, la répartition globale de son poids en fait un appareil relative ment léger par rapport à d'autres avions de même surface alaire. Ses ailes droites, solides et épais ses lui permettait de porter huit pylones de bombes, paniers de roquettes ou missiles; a cela, il faut ajouter trois autres attaches en fuselage. Il porte en charge utile presque l'équivalent de son propre poids à vide, ce qui en fait une plateforme volante redoutable. Comme avion d'attaque au sol, il est le descendant conceptuel d'appareils du même genre comme le Stuka allemand, le Stormovik soviétique, le Skyraider américain et le Strikemaster britannique.

Le A-10 est propulsé par deux turbofans General Electric développant 4112 kg de poussée cha cune, et malgré leur puissance, l'appareil a une vitesse maximale de 420 mph. Cela a pour avantage une économie d'essence remar quable compte tenu du poids de charge emporté, et permet à l'appareil de trainer longtemps au-dessus du champ de bataille, soit plus d'une heure à une distance de 130 milles de sa base, soit dix fois plus qu'un chasseur-bombardier comme le F-16 ou le Tornado. Ces deux turbofans sont très silencieuses, ce qui permet une approche peu remarquée de la part d'un ennemi retranché. Les pales du moteur ont spécia lement été conçues de manière à explulser des graviers et des débris sans caler celui-ci, et pour réduire l'encrassement, les moteurs sont fixés au-dessus du fuselage, et sertis dans deux jantes blindées. Si l'un des moteurs est touché et prend feu, le pilote peut le larger et revenir à la base avec un seul. Les deux gouver nails de queue per mettent de dissimuler partiellement le flux d'air chaud, et le rend moins vulnérable aux missiles sol-air à infrarouge. Avec ces moteurs, le A-10 peut opérer à partir d'une courte piste, sa vitesse de décollage (et de décrochage) étant de 120 noeuds.

Spécifications du A-10

 

Longueur:

53.4 pieds

Largeur:

3 pieds

Moteurs:

2 turbofans General Electric

Poussée:

4112 Kg de poussée chacun

Vitesse:

370 mph

Plafond:

40,000 pieds

Autonomie:

800 milles

Armements:

GAU-8 de 30mm;

Nombre approx en service:

300, surtout des monoplaces

Poids:

25.5 tonnes

En vol, il tient l'air presque comme un planeur, mais les manoeuvres de virages sont lourdes et brusques à cause du poids de charge sous les ailes. Mais ce n'est pas un appareil difficile à piloter. Le tableau de bord du cockpit est simple et dépourvu d'artifices succeptibles de distraire un pilote qui doit se concentrer sur sa mission. Il comprend cependant un écran à cristal liquide pour utiliser le missile anti-char AGM-65 Maverick guidé par une caméra. La verrière a un système dit tête-haute (HUD) qui affiche les principales données de vol de l'appareil, tout comme un chasseur moderne. Il dispose également d'un embout lui permetant d'être ravitaillé en vol. En gros, l'US Army dispose d'un appareil de conception simple, très protégé, et surtout peu coûteux: le prix de détail d'un A-10 n'a jamais dépassé $1.5 million de dollars, comparativement à $39 millions de dollars pour un F-16D biplace tout équipé.

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Missile AGM-65 Maverick - Viseur du Maverick - La munition de 30mm

Son armement

La particularité principale du A-10 est son canon-mitrailleur multitubulaire rotatif GAU-8 pro duit par General Electric. Situé sous le fuselage, le GAU-8 dispose de deux cadences de tir possi bles: 2100 et 4100 coups à la minute, environ 60 coups à la seconde. En fait, le A-10 fut construit autour de ce canon-mitrailleur qui lui pré-existait. Le mécanisme du canon était électrique et il ne pouvait être gêné par un raté de l'une de ses munitions: une munition défec tueuse étant tout simple ment éjectée avec les douilles vides. Le GAU-8 comprend sept tubes de 30mm capable d'atteindre une cible à une distance maximale de 2 milles. Il nécéssitait pas d'un appareil de visée sophistiqué pour son utilisation: une viseur en croix similaire à celui d'une lunette de tir suffisait; et comme l'arme était affuté directement dans le centre de gravité de la vision avant du pilote, il ne lui fallait que le pointer et tirer, tout comme un jardinier le ferait avec un boyau d'arrosage.

Spécifications du GAU-8

Nombre de canons

7 , cadence réelle par canon de 600 coups/minute

Approvisionnement

Ceinture auto-désintégrante

calibre

30 mm avec sabot

Types de munitions:

PGU-14/B API Perforant et Incendiaire [DU]
PGU-13/B HEI Explosif et incendiaire
PGU-15/B TP Tir à la cible

Vitesse initiale:

2067 mètres par seconde

Pénétration:

69mm à 500 mètres
38mm à 1000 mètres

Portée maximale

Au-delà de 1,350 mètres

Précision:

5mil, 80 %
80% des coups tirés à 4,000ft ont fait mouche dans un rayon de 20 pieds

Poids du canon:

281 kilogrammes

Longeur du canon

6.40 mètres; chargeur de 1174 projectiles

Le canon-mitrailleur GAU-8 de 30mm

La munition 30mm du A-10 consistait en un projectile de 13 pouces de longueur contenant un noyau sous-calibré très dense d'uranium appauvri qui file à plus d'un mille par seconde; ce noyau était centré et tenu en place par un sabot de 30mm qui était explusé du canon à la manière d'une bourre de fusil de chasse et laissait filer le projectile jusqu'à sa cible. Non seulement le projectile peut percer les blindages les plus lourds, mais il a un effet pyrophorique car l'énergie développée par son impact met le feu à tout ce qu'il touche. Il peut neutraliser les chars, les camions, les affûts d'artillerie, les locomotives, les petits navires et des installa tions électriques. Durant la guerre du Golfe, un pilote de A-10 a même abbatu un hélicoptère Mi-8 en vol avec son canon. Les bombes utilisées sont soit des conventionnelles, comme les Mk-82 de 500 lbs et Mk-84 de 1000 lbs, des paniers contenant 25 roquettes air-sol de 60mm, ou des bombes à fragmentation comme les Mk.20 Rockeye, et les CBU, qui contiennent plusieurs dizaines de sous-munitions larguéess contre des troupes ou des véhicules peu blindés. L'image ci-bas vous donne une idée de la variété de munitions qu'il peut porter:

En mission anti-aérienne, il peut porter aussi des missiles anti-radar AGM-88, et des récipients de napalm. Pour la lutte anti-char, son arme principal demeure le missile air-sol AGM-88 Maverick, qui a démontré son efficacité durant la cam pagne du Kippour en 1973 entre les mains des Israéliens. L'armement en aile du A-10 peut également être réduit pour lui permettre de transporter deux réser voirs auxiliaires largables pour certaines mis sions. Le A-10 peut aussi utiliser des bombes guidées, mais il est difficile pour le pilote de désigner à la fois la cible a vec un rayon et de piloter l'appareil. C'est pourquoi, en 1984, une version biplace du A-10 fut produite. Elle permettait une excellente utilisation des engins guidés car le navigateur pouvait repérer la cible, même de nuit, avec son système radar actif Lantirn situé sous le fuselage, et garder bien en joue au rayon laser la cible désignée à être détruite. Cette version sert aussi pour l'en trainement avancée mais elle est plus coûteuse que le monoplace, soit $3.3 millions de dollars, surtout en avionique:

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L'utilisation tactique

L'utilisation du A-10 Thunderbolt dépend essentiellement du briefing reçu à sa base et du guida ge vers sa cible par un avion de surveillance avancée, soit un OV-10 Bronco (comme en Europe) ou des E-3 Sentry (durant la guerre du Golfe). Pour réussir une mission avec un A-10, le pilote doit être suffisamment familiarisé avec la section de la zone de combat qui leur est assignée: ce qui fut le cas en Europe occidentale et en Iraq, mais pas au Kosovo. A défaut, il se guident d'après une carte ficelée sur un de leurs genoux. Pour assurer leur survie, ils opèrent par paires, l'ailier proté geant l'attaquant par ses missiles air-sol anti-radar dirigés contre les sites ou affuts anti-aériens. Comme dans toute attaque au sol, l'attaquant doit évacuer la zone attaquée dès qu'il a fait son boulot, pour éviter lui-même d'être victime d'un missile sol-air ennemi, surtout les modèles guidés par infrarouge (comme les SA-6 ou portatifs SA-7) car l'appareil ne peut pas les repérer.

 Le plafond opérationnel d'un A-10 ne doit pas dépasser 1200 pieds pour éviter d'être échaudé par la plupart des missiles; une altitude de 400 pieds est jugée la plus ''normale'' pour une attaque. Il peut être en mesure d'apercevoir les affuts anti-aériens et les neutraliser. Pour contrer les missiles ennemis, le A-10 est équipé de leurres ALQ-119 qui réduisent sa vulnérabilité aux missiles à guidage infrarouges, et des leurres à paillettes pour déjouer les missiles SA-3 et Rolland guidés par radar. L'environnement opérationnel n'est pas de tout repos pour le pilote du A-10: s'il vole trop haut, c'est le missile qui le guette, s'il vole en rase-mottes, ce sont les tirs de canons anti-aériens qui le tient en joue. De plus, voler à basse altitude signifie le risque constant d'un décrochage à basse vitesse, ou des collisions qui peuvent entrainer la mort

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Le futur?

Le A-10 Thunderbolt est un produit de la Guerre froide, et en 1989, il était destiné à la ferraille. Son excellente performance durant la guerre du Golfe ne lui a donné qu'un sursis partiel, et cela en dépit de ses qualités et de sa robustesse. L'USAF est toujours déterminée à s'orienter vers des avions de haute technologie. Dans le rôle de l'appui au sol, le A-10 est officiellement remplacé par le chasseur F-16 en service actif, et cela constitue une erreur de l'avis de plusieurs experts. A basse altitude, le F-16 peut surement faire des dégâts, mais il s'agit d'un appareil au cuir fragile compara à un A-10, dont la principale caractéristique est celle d'encaisser les coups venus du sol. Le F-16 doit voler vite pour faire ses passes, sinon il va les rater ou pire, décrocher. Le A-10 occupait un créneau tactique qui ne peut être remplacé: celui de l'appui au sol devant des adversaires rustiques bien armés. Comme en Yougoslavie. Des exemplaires du A-10 furent vendus à la Turquie, et les autres plus récents poursuivent leur service au sein des forces de réserve de l'armée et de l'aviation. Mais en temps de paix, ce sont surtout les réservistes qui sont en ligne, pour des raison budgétaires.

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Remarquez l'épaisseur des ailes - Chargement des munitions

Dans les conflits futurs, comme celui du Kosovo, l'ironie est que pour les bureaucrates de l'USAF, le A-10 doit être utilisé en première ligne car il est disponible, peu coûteux, fiable, et sacrifiable; de plus, il se tire très bien d'affaire en encaissant les coups des Yougoslaves, contrairement aux F-16 troués qui atterris sent d'urgence en Italie et en Macédoine; l'un d'entre eux fut même descendu. L'USAF a même reconnu que l'appui au sol ne se fait pas à 10,000 pieds d'altitude pour éviter les tirs anti-aériens, mais au ras du sol et bien en vue de la cible. Le A-10 sera, à défaut de mieux, encore longtemps dans le paysage de l'attaque au sol. A partir de 2005, il sera de plus en plus remplacé par des drones, comme le Reaper, dans le rôle d'attaque au sol.

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